Coronavirus : comment suspendre, renégocier, ou rompre ses contrats en période de crise.

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La crise sanitaire actuelle met à rude épreuve notre économie. De  « la pire récession depuis 1945 » au « plongeon historique du PIB », les superlatifs se disputent les Unes. Chacun en perçoit déjà l’impact, en redoute les effets prolongés, et cherche les moyens de s’adapter. Mais cette agilité espérée peut se heurter à la rigidité des obligations contractuelles. Or, dans certains cas, il en va de la viabilité même de l’entreprise.

Que faire lorsque l’on s’est engagé à acheter ou à livrer une quantité donnée de marchandise ? Lorsque l’on doit verser une redevance minimum pour l’usage d’une marque, adossée à un business plan élaboré lors de la conclusion du contrat ? Lorsqu’une commande ne peut plus être exécutée, parce que les salariés sont empêchés de venir travailler ou qu’un sous-traitant est dans l’incapacité de vous apporter sa contribution ?


Cet article est disponible au format pdf à cette adresse et aisément lisible au format ci-dessous. Une version brève,centrée sur la rupture des relations commerciales a été publiée sur le site du Club des Juristes, sous le tire : Coronavirus et rupture brutale des relations commerciales : qui supportera la crise ?


Fort heureusement, si certaines situations finiront inéluctablement devant les tribunaux, d’autres se règleront en bonne intelligence commerciale. Pour se déployer avec l’ampleur requise, la bonne intelligence supporte bien parfois d’être aiguillonnée par quelques arguments juridiques.

Or, le droit ne laisse pas impuissants les partenaires commerciaux. Il a même, depuis peu, sérieusement mâtiné sa proverbiale rigueur d’une souplesse toute économique.

Non seulement il est toujours possible de faire appel à des notions classiques du droit des contrats mais le législateur d’une part, avec l’introduction de l’imprévision dans le droit des contrats en 2016, et le juge d’autre part, avec la prise en compte récente des circonstances économiques dans les ruptures de relations commerciales, ont offert plus de flexibilité aux entreprises.

De la renégociation en cas d’imprévision…

L’article 1103 du Code civil prévoit certes que « les contrats (…) tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », mais l’article 1104 du Code civil pose immédiatement l’exigence d’une exécution de bonne foi du contrat. On relève classiquement que les tribunaux ont dégagé une obligation de coopération : un contractant doit permettre l’exécution du contrat par l’autre contractant. Mais ils sont parfois allés plus loin, jusqu’à distinguer une obligation de renégociation du contrat.

En 1998, La Cour de cassation confirme une condamnation de Danone pour ne pas avoir permis à son distributeur dans l’Océan Indien de pratiquer des prix concurrentiels, proches de ceux que pratiquaient des distributeurs parallèles.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’une compagnie pétrolière avait engagé sa responsabilité en refusant de conclure un accord de coopération qui aurait permis à l’un de ses distributeurs de pratiquer des prix concurrentiels, à la suite de la libéralisation des prix de l’essence (Cass. com. 3 novembre 1992, Huard). Elle a adopté une position similaire dans un arrêt en date du 24 novembre 1998 (Cass. com., 24 nov. 1998, n° 96-18.357, Chevassus-Marche).

Plus récemment, la Cour de cassation a jugé que la loyauté imposait à un franchiseur de négocier, si l’accord de franchise s’avérait difficilement réalisable, et de « proposer des conditions acceptables » (Cass. com, 15 Mars 2017 – n° 15-16.406, Holder).

Bien évidemment toute évolution des circonstances ne peut permettre d’exiger une renégociation du contrat : force reste au contrat, et les exemples cités suffisent à illustrer le fait que cette obligation de renégociation n’intervient que lorsque l’équilibre même du contrat est bouleversé.

Étonnamment, l’une des innovations les plus remarquables de la réforme du droit des contrats de 2016 peut sembler en retrait à cet égard.

En introduisant dans le droit français la théorie de l’imprévision, si longuement rejetée, le législateur n’a en effet pas voulu prévoir une véritable obligation de renégociation.

Le nouvel article 1195 du Code civil prévoit un système en trois temps, au cours duquel chaque partie doit continuer d’exécuter ses obligations, qui commence par une renégociation amiable et culmine, en cas d’échecs successifs, en une adaptation judiciaire.

L’imprévision peut être invoquée pour adapter un contrat lorsque des circonstances imprévisibles rendent l’exécution d’une obligation excessivement onéreuse.

La menace d’une intervention du juge est bien là pour inciter fortement les parties à trouver une issue par elles-mêmes.  

Ainsi, (i) dans un premier temps, l’une des parties peut demander une renégociation puis (ii) en cas de refus ou d’échec, les deux parties peuvent se mettre d’accord pour mettre un terme au contrat ou demander conjointement au juge de le réviser. Ce n’est (iii) qu’au cas où les parties ne parviendraient pas davantage à se mettre d’accord sur ce dernier point que l’une d’entre elles peut, à sa seule initiative, demander l’intervention du juge aux mêmes fins.

Mais à quelles conditions est-il possible d’invoquer l’imprévision et ces conditions sont-elles susceptibles d’être réunies dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 ?

L’article 1195 du Code civil prévoit deux conditions : d’une part, un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat doit être intervenu et, d’autre part, celui-ci doit rendre l’exécution du contrat « excessivement onéreuse ».

Le mécanisme de l’imprévision ne trouvera donc évidemment pas à s’appliquer au cas où la partie qui l’invoque fait de moindres bénéfices, ou de faibles et transitoires pertes. L’imprévision pourra être invoquée lorsque le contrat, tout en pouvant toujours être exécuté, ne peut l’être exécuté qu’au prix de pertes importantes pour l’une des parties.

La condition d’imprévisibilité est-elle remplie ?

Comme la doctrine le rappelle, l’imprévisible n’est pas l’inimaginable : il n’était pas inimaginable qu’une pandémie se répande dans le monde. Ce ne sont d’ailleurs pas les esprits rétrospectivement éclairés qui manquent pour exhumer aujourd’hui les livres blancs, études et autres avertissements jusque-là bien enfouis. Mais il n’est pas sérieusement contestable qu’à tout le moins avant le mois de janvier 2020, et peut-être même un peu plus récemment encore, non seulement cette pandémie n‘était pas prévisible, mais son impact et le confinement ordonné ne l’étaient pas davantage.

Les entreprises disposent donc déjà de deux voies pour adapter leurs contrats et, si nécessaire, amener leurs partenaires commerciaux à la table des négociations.

Elles peuvent invoquer formellement la théorie de l’imprévision, et emprunter les modalités prévues par l’article 1195 du Code civil pour ce faire, ou se prévaloir de l’antique obligation de bonne foi dans l’exécution du contrat – spécialement dans l’hypothèse où l’article 1195 du Code civil aurait été contractuellement écarté.

Mais le contrat pourra parfois se heurter à une véritable impossibilité d’exécution. C’est alors à la force majeure qu’il faudra faire appel, avec des effets différents.

A la suspension en cas de force à majeure.

Dans son acception commune, il suffirait de « ne rien y pouvoir » pour considérer qu’un fait relève de la force majeure. Pourtant, aucun fait n’est constitutif par lui-même d’un cas de force majeure.

Celle-ci mais doit toujours être appréciée concrètement, y compris en la personne du contractant, afin d’établir la réunion des trois conditions cumulatives connues : l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.

Ni les épidémies de SRAS, de peste, grippe H1N1, dengue ou chikungunya n’ont été jugées constitutives de cas de force majeure.

Il n’est pas inutile de rappeler que ni les épidémies de SRAS, peste, grippe H1N1, dingue ou de chikungunya n’ont été jugées constitutives de cas de force majeure.

Dans chacun de ces cas, les juridictions ont estimé que la condition d’irrésistibilité n’était pas remplie, comme le rappelle le Professeur Charles-Edouard Bucher dans une étude d’actualité[1].

A ce jour et à notre connaissance, aucune décision n’a encore été publiée sur l’éligibilité de l’épidémie actuelle au titre de force majeure, dans les contrats commerciaux. Toutefois, afin d’apprécier à tout le moins la réunion des conditions d’extériorité et d’imprévisibilité, diverses appréciations judiciaires ou administratives élaborées dans d’autres domaines pourront servir d’aide à l’interprétation.

Ainsi, en matière de droit des étrangers, plusieurs juridictions ont déjà retenu une qualification de force majeure[2].

Les dispositions prises par ordonnance ont également pu reconnaître l’existence d’une situation de force majeure, sans toutefois le faire de façon systématique.

L’ordonnance n°2020-326 du 25 mars 2020 relative à la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics a considéré au bénéfice de ces derniers l’épidémie comme un cas de force majeure. En revanche, l’ordonnance n°2020-319 du même jour requiert des entreprises titulaires de marchés publics qu’elles « démontrent qu’elles ne disposent pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur elles une charge manifestement excessive ». Ici, la qualification de force majeure est donc possible mais pas certaine. Sans grande surprise, une solution de principe ait été adoptée pour les comptables publics mais, pour leur part les entreprises devront toujours faire la démonstration personnelle de l’impossibilité dans laquelle elles se trouvent d’exécuter leurs obligations.

Pour autant l’imprévisibilité et l’extériorité ne sont guère contestées.

Au-delà des ordonnances mentionnées, dans un document en date du 16 mars 2020 relatif à « la passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire »[3], la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’Economie et des Finances écrit explicitement et sans réserves, en regard de chacune de ces conditions : « cette condition est remplie en l’espèce ».

Enfin, les autorités française et luxembourgeoise ont considéré que la situation actuelle constitue un cas de force majeure dans le cadre de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, pour l’imposition des travailleurs frontaliers. Les frontaliers français peuvent en effet télétravailler depuis la France pour le bénéfice de leur employeur Luxembourgeois pour une durée de 29 jours sans que leur activité soit imposée en France. Compte tenu des restrictions de déplacement, ce délai a été suspendu.

Il restera toujours à caractériser la condition d’irrésistibilité, pour chaque situation particulière.

Par comparaison avec les autres épidémies citées, le fait qu’aucune mesure de confinement n’ait alors été prise, à tout le moins de façon aussi généralisée, est un indice pertinent. L’absence de traitement disponible, le caractère mortel du virus, l’existence de mesures législatives et règlementaires interdisant déplacements ou activités, ou rendant matériellement impossibles l’exécution de certaines activités dans les conditions de protection sanitaires requises sont encore autant d’arguments qui pourront être invoqués pour justifier de la condition d’irrésistibilité.

Il incombera enfin à celui qui entend invoquer la force majeure de démontrer que l’exécution de sa propre obligation est rendue « impossible », et non uniquement difficile ou plus onéreuse.

Ceci, au demeurant, écarte généralement les obligations de sommes d’argent, dont le versement est rarement et par nature, rendu impossible (voir Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20.306, F P+B, C. c/ Banque populaire provençale et corse : JurisData n° 2014-020972).

Dans l’hypothèse où la force majeure serait retenue, conformément à l’article 1218 du Code civil, l’obligation en cause sera suspendue, aussi longtemps que dure la force majeure et sauf si le retard d’exécution ne justifie la résolution.

C’est l’une des différences avec les cas d’imprévision, dont l’invocation n’autorise pas les parties à cesser d’exécuter le contrat. Si l’empêchement est définitif, alors le contrat est résolu de plein droit.

Et la rupture, quand la relation n’a pu être préservée ?

Aujourd’hui, l’attention se concentre sur les opportunités d’aménagement immédiates des relations contractuelles. A moyen terme, quand la crise économique aura déployé tous ses effets, d’autres situations ne manqueront pas de se présenter, parmi lesquelles des cas de rupture des relations commerciales.

Demain, malheureusement, certaines relations commerciales ne pourront être sauvegardées, même avec le renfort du nouveau mécanisme de l’imprévision. Or, on sait que l’article L442-1 II du Code de commerce impose à tout partenaire commercial le respect d’un préavis tenant compte de la durée des relations commerciales avant de rompre celle-ci, même partiellement.

Cette rupture partielle recouvre bien des configurations, comme une modification substantielle des conditions commerciales. Mais, plus classiquement, elle est constituée par une baisse des commandes.

Pour les tribunaux, une baisse de commandes de 75% est évidemment une rupture des relations commerciales, qui requiert un préavis. Une baisse de 17%, également. Mais à 7%, on touche un plancher.

Une baisse de 75% est évidemment une rupture partielle (Cass. com. 23 janvier 2007, Lyon, 15 mars 2002). Mais si une baisse de 7% n’en est pas une (La Cour d’appel de Paris jugeant qu’ « une telle variation n’excède pas la marge de manœuvre qui doit être laissée à tout agent économique d’adapter son activité de production ou de distribution à l’évolution du marché », Paris, 7 mai 2015), une diminution des commandes de 17% a de longue date été considéré comme constituant une telle rupture partielle des relations commerciales (Paris, 13 décembre 2007).

Faut-il comprendre que celui qui subit les effets d’une crise économique devra malgré tout accorder un préavis à son partenaire avant de les répercuter dans leurs relations ?

La question a été longtemps discutée, et les juridictions ne semblaient accepter que l’auteur d’une rupture invoque une crise économique que si elle revêtait les caractéristiques rarement réunies de la force majeure. A vrai dire, on pouvait penser de bonne politique de maintenir l’exigence d’un préavis, afin d’atténuer les effets d’une répercussion en cascade d’une crise économique. Mais aurait-il été juste d’empêcher l’autre acteur de cette relation, qui subit le premier les effets de la crise, d’adapter sa propre entreprise ? Il fallait trancher.

Certes, la Cour d’appel de Paris a très récemment jugé qu’« une crise lourde dans un secteur d’activité peut être assimilé à un cas de force majeure et ainsi justifier une rupture sans préavis de relations commerciales établies » (Paris, 8 Janvier 2020), mais cette évocation de la force majeure n’est ici faite que pour ne pas la retenir, de sorte que l’on n’attachera pas trop d’importance à une considération au fil de l’eau dans ce qui n’est probablement qu’un arrêt d’espèce.

En revanche, il reste vrai que seules les crises amples et brutales, sont susceptibles d’écarter la responsabilité de l’auteur supposé d’une rupture alléguée – à l’inverse par exemple de la chute constante d’un marché (Douai, 5 décembre 2002, Sté Promilès c. Norcolor). De même, la Cour d’appel de Paris a bien voulu considérer que le fait d’avoir annoncé à plusieurs reprises « les causes multifactorielles de la diminution des commandes au fil des années (pour l’essentiel : crise de l’ameublement traditionnel et crise économique de 2008-2009 ou importance des stocks) (…) constituait [un] préavis suffisant » (Paris, 31 Juillet 2019).

C’est que l’article L442-1 II du Code de commerce a pour vocation première de garantir aux partenaires commerciaux une certaine prévisibilité, afin d’éviter autant que possible les déconfitures en cascade. Poursuivre cet objectif coûte que coûte au risque de faire peser tout le poids de la crise sur celui qui veut rompre n’aurait toutefois pas de sens. Juridiquement, les tribunaux ont dessiné une solution autour de l’imputabilité même de la rupture, jugeant en somme que celui qui répercute une baisse de commandes ne prend pas une véritable décision susceptible d’engager sa responsabilité, mais se contente de tirer les conséquences de faits qui s’imposent à lui.

La Cour d’appel de Versailles est probablement la première juridiction à avoir esquissé une telle solution (Versailles, 18 mai 2006). La Cour de cassation a consacré ultérieurement cette approche, en approuvant la Cour d’appel qui avait jugé que la diminution significative du volume des commandes par un donneur d’ordre était une conséquence de la diminution de ses propres commandes et ne lui était donc pas imputable (Cass. com., 12 févr. 2013). Dans le même esprit, la Cour d’appel de Paris n’a pas retenu la responsabilité de celui qui a diminué ses commandes, faute pour son partenaire d’avoir démontré « que la baisse des commandes subie [n’était pas] la conséquence de la conjoncture ou qu’elle aurait résulté d’un changement de la politique et de la stratégie d’achat » (Paris, 14 janv. 2016) – bref, qu’elle résultait d’une décision.

Cette voie a été assez largement consacrée depuis : pour la Cour de cassation, une baisse de commandes « inhérente à un marché en crise, n’engage pas [la] responsabilité » du donneur d’ordres (Cass. com., 8 nov. 2017). La Cour d’appel de Paris a fourni un attendu didactique en jugeant que la victime de la rupture « doit démontrer que l’auteur de la rupture en est responsable. Ce dernier ne  saurait en effet assumer les circonstances particulières relatives à sa propre baisse d’activité ou une conjoncture économique défavorable. » (Paris, 13 Juin 2018). Enfin, la Cour de cassation a encore approuvé le raisonnement de la Cour d’appel de Paris considérant que dans le cas d’une baisse de commandes « consécutive à la crise économique et financière de 2008 (…) la rupture dont se plaint la société A… n’est pas imputable à la société B… » (Cass. com., 6 févr. 2019). Depuis, la Cour d’appel de Paris a pu reprendre encore cette voie et écarter toute responsabilité dans le cas de « la baisse du chiffre d’affaire des commandes [d’un donneur d’ordre, jugée] inhérente à un marché en crise » (Paris, 5 Juillet 2019).

On le voit : les juridictions sont en quête d’une décision à caractériser. Les circonstances économiques ne sont plus une cause exonératoire de responsabilité mais une cause d’exclusion de l’imputabilité [4].

Certes, on pourrait aller jusqu’à juger que le fait de répercuter une baisse reste une décision. Mais les plus hautes juridictions ont considéré qu’une entreprise donneur d’ordre « ne peut être contrainte de maintenir un niveau d’activité auprès » de son partenaire. (Cass. com. 8 novembre 2017; Paris, 5 juillet 2019). Ceci est parfaitement cohérent avec l’esprit de l’article L442-1 II du Code de commerce, qui n’a pas vocation à contraindre de maintenir une relation mais seulement à sanctionner la brutalité d’une rupture.

Attention toutefois à ne pas prendre la crise économique pour une liberté de s’exonérer totalement de l’obligation ordinaire d’accorder un préavis.

Ainsi, le donneur d’ordres qui subit lui-même les effets d’une crise économique est-il fondé à les répercuter sur son partenaire commercial sans même avoir à respecter de préavis. Pour autant, il ne faudrait pas croire qu’une crise économique offre une licence complète.

Dans les arrêts précités, les juridictions relèvent parfois l’absence d’engagements de volume (cf. Cass. com., 8 nov. 2017; Paris, 5 Juillet 2019) comme une condition de leur appréciation. On peut imaginer que, dans le cas contraire, la baisse de commandes serait toujours considérée comme fautive, sinon au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies à tout le moins au titre de la responsabilité contractuelle.

En outre, il ne suffira pas d’invoquer de façon générale l’existence d’une crise économique pour écarter toute responsabilité. Encore faudra-t-il démontrer concrètement que la crise concrètement frappé le secteur d’activités concerné, que le donneur d’ordres a lui-même subi les effets de cette crise, avec quelle ampleur, si cette ampleur est comparable avec la baisse qu’il répercute sur le chiffre d’affaires de son partenaire, et si cette baisse est également répartie entre tous. S’il apparaît que le donneur d’ordres concentre toute la baisse sur un seul de ses partenaires, alors il ne s’agit plus de sa part uniquement de répercuter la crise qui le frappe, mais l’on pourra dès lors de nouveau caractériser une véritable décision de sa part, susceptible d’engager sa responsabilité (voir Paris, 3 juillet 2009, Anaik Descamps c. Rousseau Confection ; Paris, 5 Juillet 2019).


[1]       Contrats : la force majeure et l’imprévision remèdes à l’épidémie de covid-19 ?, Etude par Charles-Édouard BUCHER agrégé des Facultés de droit, professeur à l’Université de Nantes, directeur de l’Institut de recherche en droit privé (IRDP – EA 1166)

[2]       Voir l’étude précitée du Pr Charles-Edouard Bucher.

[3]       La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire, Ministère de l’Economie et des Finances, 16 mars 2020 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/fiche-passation-marches-situation-crise-sanitaire.pdf. Une note postérieure en date du 25 mars 2020 (Les conséquences de la crise sanitaire sur la commande publique. Questions-réponses) se montre moins catégorique, sans toutefois revenir sur l’appréciation portée dans la précédente

[4]      Voir à cet égard : Les circonstances économiques peuvent justifier la rupture de la relation commerciale, Nicolas Mathey, Contrats Concurrence Consommation n° 4, Avril 2019, comm. 66

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