Publicité pour l’alcool, légiférer dans l’ignorance ?

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Il y a une question que je ne parviens pas à résoudre : la publicité pour l’alcool a-t-elle un effet sur la consommation ? Qu’elle puisse avoir un effet sur les produits achetés, sur les marques choisies, c’est évidemment probable. Le consommateur choisira tel champagne dont le nom lui est familier. Il consommera tel whisky. Mais consommera-t-il davantage parce qu’il aura été exposé à la publicité ?

Il est parfois étonnant de constater comme le travail législatif et règlementaire peut se poursuivre dans l’ignorance de ce type d’éléments. Comme si le pouvoir voulait surtout donner le sentiment d’agir, ce que seuls des esprits pervers pourraient lui reprocher. C’est d’autant plus surprenant que, dans le dernier état de mes connaissances, aucune influence n’avait pu être caractérisée.

On lit ainsi, dans une étude de législation comparée sur le site de l’Assemblée Nationale de juillet 2004 :

« Des chercheurs de l’Université de Chicago ont étudié les effets sur la consommation de la publicité en faveur des boissons alcoolisées. Ils sont arrivés à la conclusion que la publicité modifie principalement le comportement et les préférences des consommateurs, non la quantité totale d’alcool absorbé, car cette dernière est principalement déterminée par les prix et par la place de l’alcool dans la culture du pays d’appartenance. À suivre les enseignements de leur étude, autoriser la publicité pour le vin à la télévision française aurait ainsi pour seul effet de réorienter la consommation nationale d’alcool, en la déplaçant de la bière et des spiritueux vers le vin, sans amener globalement une augmentation de la consommation moyenne d’alcool par habitant.

L’Organisation mondiale de la santé admet elle-même qu’« il se peut que la publicité n’ait qu’un impact général limité et de long terme sur la consommation d’alcool ou sur les dommages liés à l’alcoolisme »«

Or, donc, ces jours-ci François Fillon doit rendre un arbitrage sur l’encadrement de la publicité pour l’alcool sur Internet. Ceux qui auront pris connaissance de mes billets précédents (dont cet article, publié aux Echos) savent qu’il existe un double niveau de règlementation de la publicité pour l’alcool : règlementation des supports, et règlementation des contenus. Ainsi, les supports autorisés sont limitativement énumérés à L. 3323-2 du Code de la Santé Publique et les mentions autorisées le sont à l’article L. 3323-4 du même code.

Le Monde publie aujourd’hui un article qui commence par un a priori discutable : « la publicité pour l’alcool fleurit sur Internet, hors des limites prévu par la loi Evin ». La publicité fleurit-elle ? Disons plutôt qu’elle existe dans le cadre d’un dispositif législatif et règlementaire qui ignore Internet, toute la question étant de savoir si cette ignorance était volontaire, ou uniquement due à l’époque (1991) d’édiction de la loi.

Le Monde se fait l’écho d’un courrier adressé par ses associations à François Fillon, dans lequel elles reconnaissant la légitimité qu’ont les producteurs et les industriels à faire la présentation de leurs produits sur Internet. C’est une première étape actée et, à vrai dire, l’essentiel qui est sauvé. Car, à la suite des procédures intentées par l’ANPAA contre Heineken, c’était bien l’ensemble des sites Internet, y compris ceux des producteurs, qui étaient considérés comme illégaux.

Mais les associations semblent encore vouloir limiter la possibilité de faire de la publicité pour l’alcool à ces sites de producteurs ou d’industriels. C’est ainsi qu’elles écrivent :

« Nous estimons que l’exclusion des sites destinés à la jeunesse ou ayant pour thématique le sport serait une précaution à la fois illusoire, tant Internet est un média qui se joue des limites, et inefficace, tant la publicité sait utiliser l’art des images et des émotions pour établir des liens indirects. »

Il est vrai que, si l’on entre dans une démarche thématique, on peut se demander pourquoi se limiter à ces deux thèmes. Pour reprendre l’esprit des décisions existantes, il faudrait aussi s’assurer que la publicité ne puisse apparaître sur des sites de voyage (puisque la jurisprudence a posé qu’il ne fallait pas que la publicité pour l’alcool invite au voyage et à l’évasion) ou sur des sites que la morale réprouve (la jurisprudence ayant encore considéré qu’on ne pouvait représenter les jambes velues d’un écossais, puisque cela donnait une image de virilité à l’alcool)…

Il semble donc utile de rappeler que si la publicité est règlementée dans ses supports, elle l’est aussi dans son contenu et que, quel que soit le site concerné, et la thématique du site, elle devra se conformer à la liste limitative suivante : « indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit« , la publicité pouvant « comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine telles que définies à l’article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés » et des « références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit« .

Par ailleurs, les juges veillent et sanctionnent sans faillir, à la demande de l’ANPAA, toute publicité qui aurait une conception trop extensive, et attractive, de l’énumération précitée. Alors, faut-il comprendre que les associations en question entendent dresser une liste limitative des types de sites sur lesquels la publicité sera admise ? Faudra-t-il interdire la publicité sur les pages affichant des thèmes invitant à l’évasion, ou ayant trait au sport, ce qui ne manquera pas de rendre impraticable la publicité sur Internet ?

Il semble que les associations concernées souhaitent s’assurer que ces publicités n’apparaissent pas hors des sites de producteurs et d’industriels, de sorte que l’on obtiendrait probablement un troisième niveau de règlementation, propre à Internet. Mais leurs efforts, pour être convaincants, ne devraient-ils pas davantage porter sur la recherche d’un lien véritable entre la publicité pour l’alcool et la consommation d’alcool ?

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20 octobre 2008 |

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