Publicité pour l’alcool sur Internet : en attendant mieux…

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« Un assistant parlementaire » souligne le rejet, intervenu dans la soirée du 9 juillet 2008, d’un amendement visant à autoriser la publicité pour l’alcool sur Internet, ainsi qu’à introduire dans la définition de la publicité pour les boissons alcooliques la notion de « contrepartie financière« .

Cet amendement est, une fois de plus, motivée par de récentes décisions judiciaires. On rappelera en effet que la Cour d’appel de Paris, le 28 février 2008, a prononcé une décision aux termes de laquelle, considérant qu’Internet ne faisait pas partie des supports limitativement énumérés par la loi, toute publicité sur ce support était prohibée. Plus précisément, elle faisait litière de l’argumentation tendant à considérer que la publicité sur Internet relevait de « l’envoi de messages » prévu à l’article L.3323-2 4° du Code de la Santé Publique. La Cour a en effet considéré (i) qu’il n’est pas contestable qu’Internet ne figure pas dans la liste et surtout (ii) qu’Internet constitue une « mise à disposition » de publicité (ce qui interdit de l’assimiler à un envoi de messages).

La conséquence est bien que tous les sites de promotion de boissons alcooliques sont susceptibles de tomber sous le coup de la loi et ce d’autant plus que la définition de la publicité en la matière (puisqu’il n’existe pas de définition globale de la publicité) est extrêmement large.

Seule la Cour de cassation a effet, dans une décision du 3 novembre 2004, fourni une définition de la publicité, en considérant qu’elle est constituée par :

« tout acte en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique ».

On le voit bien : il est pour le moins délicat, si ce n’est impossible, de dresser la frontière qui sépare la simple présentation d’un produit d’une publicité. Le seul fait de faire figurer une bouteille d’alcool sur le site d’un producteur n’est-il pas à l’évidence déjà une façon de « rappeler une boisson alcoolique » ?

On ne peut pourtant sérieusement en conclure que tous les sites de producteurs d’alcool français, des Armagnac aux Cognac, en passant par nos plus grands châteaux bordelais ou bourguignons, pour poursuivre par chacun des petits viticulteurs français, doivent fermer leur site.

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C’est donc pour mettre un terme à cette situation, que rien ne permet d’expliquer (pas même les légitimes considérations de santé publique), qu’un amendement a été proposé. On aurait pu d’autant plus imaginer qu’il reçoive bon accueil que même l’ANPAA s’est affirmée favorable à ce qu’Internet soit mentionnée dans la liste des supports autorisés. Son Président, avec lequel j’ai eu le plaisir de débattre le 21 avril dernier, lors d’un petit-déjeuner débat organisé par la Fédération Française des Spiritueux, avec le député Philippe Armand-Martin,  l’a ainsi clairement affirmé.

Il a pourtant été rejeté, au nom d’arguments qui n’emportent pas tous – loin de là – la conviction.

L’argument du sénateur Pozzo di Borgo est évidemment de ceux-là, tant on peine à percevoir le lien entre les soirées arrosées post-bac et la publicité sur Internet.

Il en est de même de ceux du sénateur Godefroy, qui déclare :

« Il est inadmissible que les actions de prévention et de sensibilisation soient réduites à néant par l’autorisation de la publicité sur le média préféré des jeunes. Les mêmes règles doivent s’appliquer à tous les supports de communication, écrits ou audiovisuels. »

C’est, d’une part, prêter un pouvoir excessif à Internet. Et c’est d’autre part se tromper quelque peu puisque, précisément, les mêmes règles ne s’appliquent pas à tous les supports…

La sénatrice Anne-Marie Payet s’est montrée plus mesurée, concluant surtout sur le fait qu’un groupe de travail a été mis en place, davantage susceptible de parvenir à une autorisation/règlementation fine que cet amendement rapidement examiné. En revanche, lorsqu’elle affirme « les alcooliers prétendent que cette absence de définition est source d’insécurité juridique, mais c’est faux : la jurisprudence a permis de dessiner les contours de cette publicité, en tenant compte des évolutions technologiques« , il faut peut-être y voir un soupçon d’ironie : au vu de la jurisprudence citée, l’insécurité juridique ne peut disparaître que parce toute publicité sur Internet est interdite.

Bref, de façon plus globale, ces échanges parlementaires témoignent une fois de plus de la difficulté à envisager sereinement ces questions.

Au final, l’argument le plus convainquant est encore celui du Ministre, qui renvoie aux conclusions du groupe de travail constitué dernièrement. Car, si cet amendement répond à un véritable besoin, il s’avérait quelque peu rapide, voire sommaire, dans ses prévisions.

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Il semble en effet indispensable de permettre la publicité sur Internet, et de définir plus précisément la publicité. Mais cela peut et doit être fait de façon plus précise, pour intégrer pleinement les impératifs de santé publique.

  • Sur l’autorisation de la publicité sur Internet

Sans revenir sur les considérations mentionnées dans mon précédent article, il paraît d’une part plus que légitime de permettre aux producteurs de présenter leur produit, dans le respect des dispositions du Code de la Santé Publique relatives aux mentions autorisées. Il s’agit d’une part de la simple présentation d’un produit dont la consommation modérée n’est pas en cause. Il s’agit d’autre part de ne pas pénaliser spécialement les producteurs français, par rapport à leurs concurrents, dont les publicités pourront toujours être consultées sur Internet. Enfin, le caractère incitatif de la consultation personnelle et volontaire d’un site de producteur est loin d’être évident.

Pour autant, il convient d’opérer une règlementation plus fine que ne le faisait cet amendement. Internet est en effet un support multiple, à la différence des supports envisagés jusque-là dans la loi. Il peut supporter du texte, du son, de la vidéo. La publicité peut figurer sur le site des producteurs, elle peut aussi figurer sur des sites tiers. Or, s’il paraît évident que le fait de consulter volontairement le site d’un producteur n’a pas l’impact d’une affiche 4×3, il n’en serait pas de même, par exemple, d’une vidéo apparaissant de façon inopinée, en pop-up, sur un site donné.

  • Sur la redéfinition de la publicité pour les boissons alcoolisées

De même, la seconde partie de l’amendement est nécessaire. Dans sa formulation actuelle, la définition jurisprudentielle de la publicité pour l’alcool a permis la condamnation d’un article du Parisien sur le champagne jugé trop laudateur. On ne saurait toutefois admettre que le propos des journalistes, et la liberté d’information (voire même tout simplement, puisqu’aucune limite n’est fixée, la liberté d’expression) soient bornées par les mentions restreintes autorisées par le Code de la Santé Publique. Cela est d’autant moins admissible que le lien entre l’alcoolisme et la publication d’un tel article est bien loin d’être établi.

Pour autant, à cet égard aussi, il conviendrait de préciser cet amendement.

La crainte, vague, exprimée par le sénateur Godefroy me paraît peu fondée. Il serait en revanche légitime que cette condition d’une absence de contrepartie ne puisse jouer pour les propres sites des fabricants. On pourrait retrouver sinon sur ces sites des mentions contraires aux dispositions issues de la loi Evin, sans limitation aucune. En effet, lorsqu’un producteur vante les mérites de son vin ou de ses spiritueux sur son site, il le fait sans aucune contrepartie (financière ou non). On peut d’ailleurs noter que la deuxième phrase de cet amendement, présentée seule, aurait même presque pu être suffisante : nul besoin en effet, dès lors que la promotion effectuée par les fabricants sur leur propre support n’est pas de la publicité, d’intégrer Internet à la liste des supports autorisés.

On pourrait à cet égard envisager d’adapter la définition été retenue pour la publicité en matière télévisuelle par le décret du 27 mars 1992, selon lequel :

« constitue une publicité toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée. »

Cette nouvelle définition pourrait être la suivante :

« constitue une publicité pour les boissons alcooliques toute forme de message diffusé – contre rémunération ou autre contrepartie, sauf en ce qui concerne la communication en ligne effectuée par les producteurs sur les sites Internet qu’ils opèrent – en vue soit de promouvoir la fourniture ou la consommation de boissons alcooliques, soit d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée. »

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Il reste donc à attendre, comme l’a rappelé Luc Chatel, que le groupe de travail constitué le 28 juin dernier, qui « a reçu mandat des ministres concernés, M. Barnier et Mme Bachelot, pour apprécier l’opportunité d’une adaptation de la législation aux nouveaux moyens de communication, dans le respect de l’impératif de santé publique » remette ses conclusions.

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11 juillet 2008 |

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