40.000.000 € pour dénigrement

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denigrement21-300x292Le dénigrement constitue une pratique de concurrence déloyale. La qualification est connue.

Mais il peut également constituer un abus de position dominante, sous certaines conditions.

C’est à ce titre que l’Autorité de la concurrence a condamné la société Sanofi-Aventis à une sanction pécuniaire d’un montant de 40.600.000 €, par une décision en date du 14 mai 2013. Une fois encore, il se vérifie que des opérateurs en situation de domination incontestée n’en ménagent pas pour autant leurs efforts pour porter le discrédit sur des nouveaux entrants.

L’Autorité a ainsi condamné Sanofi-Aventis pour avoir dénigré des médicaments génériques susceptibles de venir en substitution du Plavix, en instillant le soupçon sur la fiabilité de ces génériques.

Le Plavix est un médicament utilisé pour la prévention des récidives des maladies cardiovasculaires graves, 4ème médicament le plus vendu au monde, représentant en 2008 le premier poste de remboursement de l’Assurance maladie en France, pour un montant de 625 millions d’euros. A l’évidence, ce contexte et l’impact sur les comptes sociaux sont entrés en ligne de compte dans l’appréciation du dénigrement.

L’appréciation des faits constitutifs d’un dénigrement peut varier selon les secteurs : « instiller un doute » peut suffire à constituer le dénigrement

En l’occurrence, Sanofi-Aventis s’est employée à instiller le doute sur les génériques du Plavix, afin de favoriser ses propres produits : le princeps, Plavix, et son auto-générique, Clopidogrel Winthrop.

Il est intéressant de noter que l’Autorité prend en considération le contexte spécifique du secteur de la santé et s’applique à souligner « l’aversion au risque des professionnels de la santé« . Cette aversion est suscitée à la fois par la judiciarisation des questions de santé et par l’information très relative des médecins sur les médicaments. Dès lors, le rôle des visiteurs médicaux est déterminant et ceux-ci sont en mesure d’influencer grandement les médecins. En l’occurrence, leur présentation conduisait fréquemment les médecins à porter la mention « non substituable » sur l’ordonnance, interdisant ainsi aux pharmaciens de délivrer un générique. Les visiteurs médicaux déployaient également un discours similaire à l’attention directe des pharmaciens, insistant sur les risques judiciaires qu’ils encouraient en cas de difficulté médicale.

L’Autorité relève ainsi que c’est dans ce contexte précis que la pratique doit être analysée (§ 359).

Il ressort ainsi de cette décision que le dénigrement est susceptible d’être apprécié de manière différente selon les pratiques du secteur concerné.

L’Autorité rejette la comparaison faite avec les pratiques de dénigrement dans les services de téléphonie ou de télévision payante. Elle accepte ainsi de se référer à un faisceau d’indices graves, précis et concordants au lieu de ne prendre en compte que des documents se suffisant à eux-mêmes. Ce faisant, elle souligne que le dénigrement peut être caractérisé en l’absence même de propos très explicites.

Ainsi l’Autorité note que :

« dans ce secteur, les pratiques de dénigrement peuvent consister non pas à s’attaquer frontalement au produit concurrent en le disqualifiant au travers d’une remise en cause brutale, via des déclarations générales et publiques, mais au contraire à instiller un doute dans l’esprit de professionnels de la santé, ciblés sur la qualité ou les propriétés du médicament générique, en délivrant des informations organisées et structurées, mais incomplètes, ambigües ou présentées de telle manière qu’elles suggèrent l’existence d’un risque à substituer ou entretiennent, pour des motifs injustifiés, une crainte ou une prévention à cet égard. » (§ 378)

L’Autorité considère ainsi que Sanofi-Aventis a mené une campagne systématique de dénigrement à l’encontre des génériques.

Au titre des multiples témoignages, l’Autorité a notamment retenu des remontées d’informations de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Et si certains témoignages faisaient état d’une communication plus subtile, d’autres étaient néanmoins explicites, à l’image de cette remontée d’information :

« Communication antigénérique du VM auprès des pharmacies pour ne pas substituer le Plavix® sauf si le générique est Wintrop. Parfois communication agressive : substituer (en dehors de l’autogénérique Wintrop) serait un comportement « assassin ». Principal argument : la différence de sel. Communication du VM auprès des médecins pour encourager la pratique du « NS » [non substituable]. Des cas de décès liés à la substitution du Plavix® évoqués par le VM […] »

Le dénigrement comme abus de position dominante

Le dénigrement est classiquement conçu comme une pratique de concurrence déloyale. Elle donne logiquement lieu principalement à des actions sur ce fondement : les entreprises en position dominante sont évidemment minoritaires, et la preuve de la position dominante est elle-même difficile à apporter.

Rien n’empêche toutefois de ranger le dénigrement au titre de l’exploitation abusive d’une position dominante, bien au contraire. L’Autorité rappelle sa décision n°07-D-33 du 15 octobre 2007, dans laquelle elle précisait que :

« La concurrence suppose un certain degré de rivalité et de compétition entre les acteurs d’un marché. Néanmoins, cette lutte pour la conquête de la clientèle n’autorise pas tous les comportements, surtout de la part d’une entreprise qui, détenant une position dominante sur un marché, encourt une responsabilité particulière. Parmi les actes qui peuvent être regardés comme abusifs, le dénigrement occupe une place majeure. Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié ; il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d’un acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier. »

Elle souligne toutefois que tout dénigrement mis en oeuvre par une entreprise en position dominante ne constitue pas nécessairement un abus de position dominante et que doit être établi un lien entre la dominaiton de l’entreprise et la pratique de dénigrement.

L’Autorité rappelle (§§ 367 à 369) sa démarche pour apprécier l’existence d’un dénigrement :

  1. Vérifier si le discours commercial tenu relève de constatations objectives ou s’il procède d’assertions non vérifiées (à noter qu’en matière de concurrence déloyale, il n’est pas toujours nécessaire que les assertions soient fausses ou non vérifiées pour caractériser un dénigrement, comme en témoigne un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 13 décembre 2011);
  2. Examiner si le dénigrement « est de nature à restreindre la concurrence » : il n’est ainsi pas requis que la concurrence ait été effectivement restreinte mais uniquement que le comportement soit susceptible d’avoir un tel effet;
  3. Apprécier le lien entre le dénigrement et la domination de l’entreprise. A ce titre, l’Autorité mentionne la notoriété de l’entreprise et la confiance que lui accordent les acteurs du marché. Ces éléments sont en effet de nature à renforcer l’impact de son discours dénigrant.

Commentaires (1)

  • Mélody a dit...

    Malgré les 3 points cités à la fin, n’est-il pas quand même difficile de faire la distinction entre faire la promotion correcte d’un produit et être déloyal?

    Dans le cas présenté, médicalement il y a deux questions majeures :
    – la qualité du générique, car s’il est vrai que le princeps est meilleur, le praticien ne peut pas décemment prescrire un médicament moins efficace et/ou plus dangereux.
    – l’utilité du clopidogrel ! Il peut être bon de rappeler que le Plavix° n’est pas plus efficace dans la prévention des accidents thrombo-emboliques que l’Aspirine 100 mg, pour un prix une trentaine de fois supérieur, c’est dommage… Mais il est incontournable en cas d’allergie vraie à l’aspirine, ou après un infarctus stenté puisqu’on donne deux anti-aggrégants.

    Dans ce contexte, est-ce que le problème ne vient pas du manque d’information loyale plutôt que de l’information forcément orientée d’un labo qui veut vendre son produit? Est-ce que ce n’est pas simplement faire de la pub pour un produit de santé, plutôt que de ne donner que les résultats des essais cliniques et des tests thérapeutique qui est un problème?

    Sanofi, avec l’image qu’elle a, attire je pense les fustigateurs qui auront plaisir a l’accuser, mais… « et les autres? ». Le domaine médical est-il vraiment comparable aux autres marchés?

    Posté le samedi 15 juin 2013 à 12 h 53 min Editer

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