Une petite journée de rupture brutale

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En matière de rupture brutale de relations commerciales établies, la chronique quotidienne pourrait être tentée, tant la jurisprudence est encore fournie.

Voyez la journée du 13 décembre 2011.

En guise de préliminaires, brefs mais suffisants, rappelons que le Code de commerce comporte une disposition, l’article L.442-6.I.5°, qui prévoit que le fait de rompre une relation commerciale établie sans accorder un préavis suffisant à son partenaire commercial engage la responsabilité de celui qui s’y livre. Pour davantage de détails, on peut se reporter aux précédents billets relatifs à la rupture brutale.

Ce 13 décembre 2011, la Cour de cassation, la Cour d’appel de Versailles et la Cour d’appel de Rennes ont apporté réponses ou éléments de réponse à deux questions :

  1. Quelles juridictions (tribunal de commerce, cour d’appel, tribunal arbitral) faut-il saisir d’une rupture des relations commerciales ?
  2. L’entrepreneur principal qui a recours à un sous-traitant est-il responsable d’une rupture brutale lorsque lui-même subit une rupture partielle ou totale de ses relations commerciales avec le donneur d’ordres ?

1. Droit international – Dans l’ordre de préséance, pour ce premier arrêt tout du moins : la Cour de cassation a de nouveau indiqué que l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce instaure un cas de responsabilité délictuelle.

Elle a ainsi cassé et annulé l’arrêt rendu le 16 décembre 2010 par la Cour d’appel de Paris, qui avait donné raison à une société suisse qui contestait la compétence des juridictions françaises, au profit des juridictions suisses (Cass. com. , 13 décembre 2011,  n°11-12024).

La Cour d’appel de Paris avait fait application de l’article 5 § 1 de la Convention de Lugano qui prévoit que « en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée » en considérant que n’était pas « pertinente la circonstance que PRED ait engagé l’instance sur le fondement de l’article L. 442-6-1 du code de commerce ».

La formulation peut surprendre puisque, bien au contraire, le fait que l’instance ait été engagée sur le fondement de cet article signifie qu’il s’agit d’une action en responsabilité délictuelle, conformément à une jurisprudence désormais fermement établie.

On le voit, les conséquences ne sont pas minces en termes de compétence des tribunaux et même, plus généralement, de prise en compte des dispositions du contrat (sur la durée du préavis en particulier).

2. Arbitrage. A Versailles, la Cour a fait application d’une clause compromissoire. Cette clause est celle par laquelle des parties prévoient, dans un contrat, qu’un litige sera tranché par un tribunal arbitral, et non par les juridictions étatiques.

On pourrait penser qu’une telle clause est indifférente, puisque nous venons de voir que cette matière relève de la responsabilité délictuelle : les dispositions du contrat seraient dès lors sans pertinence.

Mais la Cour relève que la clause d’arbitrage  s’appliquait aux litiges relatifs à la fin du contrat. Elle prévoyait en effet que « tout litige relatif aux présentes conditions générales, leurs annexes et avenants portant notamment leur validité, leur interprétation et leur exécution ou leur expiration » sera soumis à un tribunal arbitral.

Cette application aurait toutefois pu être discutée : le terme « expiration » évoque davantage une relation qui arrive à son terme plutôt qu’une rupture des relations commerciales.

La Cour rappelle enfin la solution établie selon laquelle le fait que les dispositions en cause soient d’ordre public n’interdit pas l’arbitrage.

3. Compétence exclusive des juridictions spécialisées. A Rennes, la Cour d’appel a fait application des règles attribuant une compétence exclusive à la Cour d’appel de Paris (Rennes, 13 décembre 2011, Agrex SAS c. Techneau SAS, n°11/03790). La société demanderesse avait bien tenté de faire valoir que le contrat conclu entre les parties prévoyait une clause attributive de compétence et que les parties avaient ainsi entendu déroger aux règles de compétence, mais la Cour relève, logiquement, d’office son incompétence au profit de la Cour d’appel de Paris.

C’est ainsi l’occasion de rappeler que seuls quelques tribunaux de commerce peuvent être saisis de faits de rupture brutale de relations commerciales établies, et la seule cour d’appel compétente pour toute la France est la Cour d’appel de Paris (cf. art. D. 442-3 du Code de commerce)

4. La précarité en héritage. Rennes toujours et, par définition, toujours le 13 décembre. Une question est fréquemment posée en matière de rupture brutale : l’article L.442-6.I.5° du code de commerce s’applique-t-il dans le cas d’une rupture faite par une partie elle-même soumise à une rupture de son contractant ? Concrètement : si une entreprise perd brutalement 30% de son chiffre d’affaires, est-elle en faute en n’accordant pas elle-même un préavis à ses partenaires ?

La situation évoque une forme de « double peine » : non seulement l’entreprise est pénalisée par une perte d’activités, mais elle devrait fournir une activité suffisante à son partenaire ou, plus vraisemblablement, l’indemniser du préavis qu’elle n’a pas été en mesure de lui fournir.

Une première solution peut être trouvée dans la décision récente de la Cour de cassation par laquelle elle a reconnu qu’un tiers peut solliciter l’indemnisation du préjudice dont il est victime par ricochet, du fait de la rupture brutale des relations commerciales subie par son propre partenaire économique.

En l’espèce, la Cour a considéré que le sous-traitant « n’ignorait pas la précarité qui affectait leurs conventions respectives du fait de la difficulté à répondre aux exigences de l’opérateur et n’a pu être surprise par la réduction du marché principal », puis sa résiliation complète.

La décision de la Cour recèle probablement quelques considérations d’équité. Elle est également marquée par la mauvaise exécution de ses prestations par le sous-traitant, qui a nécessairement un impact sur le préavis accordé.

Il est toutefois intéressant de constater qu’elle estime que le contrat de sous-traitance hérite en quelque sorte de la précarité inhérente au contrat principal.

Tout comme il est intéressant de relever qu’elle considère que ce contrat principal, qui a pourtant donné lieu à une relation commerciale établie, était en somme affligé d’une précarité originelle…

Commentaires (21)

  • nm a dit...

    Sur l’arrêt du 13 décembre 2011, en réalité, il faut le comprendre en lien avec la position de la première Chambre civile. Pour elle la responsabilité est contractuelle (Cass. 1re civ., 6 mars 2007 : Bull. civ. 2007, I, n° 93). Pour certains auteurs, cette position était justifiée par le fait que les questions posées à la première chambre relevaient d’ordinaire du DIP. Ce qui ne me semblait pas convaincant d’ailleurs. La Chambre commerciale confirme sa position même en DIP (conflit de lois comme conflit de juriditions- Rgt Bruxelles comme Convention de Lugano…).

    Posté le samedi 31 décembre 2011 à 20 h 18 min Editer

  • Erwan Le Morhedec a dit...

    L’arrêt n’est en effet pas très convaincant. D’ailleurs, à la le lire, il semble que la Cour ait considéré que le fait que la clause s’applique à tout litige découlant de la rupture des relations contractuelles aurait pour conséquence que l’action serait de nature contractuelle :

    Mais attendu qu’après avoir souverainement relevé, sans dénaturation, que la clause attributive de juridiction, figurant dans la confirmation de commande et les factures de la société Blaser qui avait été acceptée par la société Frankonia, s’appliquait à tout litige découlant de la rupture des relations contractuelles entre les parties, la cour d’appel a exactement décidé que cette clause jugée valable au regard de l’article 23 du Règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I) donnait compétence exclusive à la juridiction de l’Etat contractant désigné ; que par ce seul motif l’arrêt est légalement justifié ;

    Il paraît un peu surprenant que la nature d’une action puisse dépendre de la volonté des parties, et de la rédaction de la clause. sauf à trouver des exemples contraires dont j’ignore l’existence, la nature de l’action devrait découler du texte lui-même, de la même manière que 1382 n’est pas à la disposition des parties.

    En ce qui concerne la nature de l’action, le fait générateur de la responsabilité étant la brutalité, qui est extérieure au contrat, il semble naturel de retenir une nature délictuelle. En même temps, on pourrait opposer que l’exécution de mauvaise foi est également un comportement, sans que cela n’enlève à l’article 1134 du code civil sa nature contractuelle. Peut-être faut-il penser que la mauvaise foi porte néanmoins strictement sur « l’exécution des conventions légalement formées », tandis que la brutalité est un comportement particulièrement détaché du contrat.

    Cela étant, maintenant, au vu de la jurisprudence régulièrement confirmée de la chambre commerciale, le débat est, en pratique, tranché.

    Posté le dimanche 1 janvier 2012 à 17 h 09 min Editer

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