A l’orée de l’Euro, Google interdit les paris sportifs

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foot2Ce que la loi française n’a pas fait, Google le fait. A l’orée même de l’Euro 2016, le 10 juin 2016, Google a supprimé l’application PMU Sports Live, et interdit les bannières publicitaires dans des applications tierces redirigeant vers des sites de jeux d’argent ou de hasard, dont ceux du PMU. Il est permis de douter sans cynisme que les considérations morales l’aient emporté – la politique Google n’étant pas la même sur son moteur de recherche – et tel n’est pas l’objet de ce billet.

La possibilité d’interdire à un professionnel l’accès à un service, ou de lui supprimer cet accès, est en revanche au cœur de cette ordonnance de référé, notamment dans le cas où d’autres opérateurs y gardent accès.

Car la décision du Président du Tribunal de commerce de Paris, en date du 20 juin 2016, est comme telle une décision provisoire à laquelle nous nous garderons de donner une portée définitive – quoique ses effets le soient au regard de l’Euro 2016 – mais qui ne manque pourtant pas d’intérêt. Le PMU a ainsi assigné en référé d’heure à heure début juin diverses sociétés du groupe Google afin d’obtenir la suspension de la règle en vigueur sur le Google Play Store interdisant les contenus ou services visant à facilité l’accès à des sites de jeux d’argent.

Cette décision met en revanche en jeu les questions de liberté d’organisation de son offre commerciale, d’abus de position dominante, de rupture brutale de relations commerciales établies ainsi que de procédure, que nous verrons en dernier lieu par souci de l’attention du lecteur.

Une entreprise reste en effet libre de déterminer sa politique commerciale, libre de refuser de vendre à un professionnel, d’élaborer des catégories commerciales et tarifaires… aussi longtemps que cela ne vise pas à exclure une entreprise en particulier, que cela ne relève pas de pratiques interdites par ailleurs telles que l’entente ou la position dominante, qu’elle rompt avec un préavis raisonnable si la relation existait, ou qu’elle ne viole pas les dispositions contractuelles.

En l’occurrence, la presque totalité de ces points était discuté – en référé, d’ailleurs, ce qui suffit à rappeler que le juge des référés n’est pas uniquement le « juge de l’évidence » (il arrive pourtant malheureusement que des présidents opposent ceci, malgré la lettre de l’article 873 du Code de procédure civile, qui précise bien qu’il s’applique « même en présence d’une contestation sérieuse« ).

Sur l’abus de position dominante

Le président du Tribunal juge que le grief n’est pas établi à cet égard. Il note en premier lieu, ce qui est étonnant puisqu’indifférent, que Google et le PMU ne sont pas concurrents.Il est également surprenant de constater que le président s’est penché sur l’éventuel caractère abusif de la pratique alors même que la position dominante ne paraît pas avoir été démontrée.

Le seul point intéressant ici est le fait que d’autres applications (tels BetClic) ont pu continuer de communiquer dans les applications référencées par Google Play, après la suppression de l’application PMU Sports Live. Mais le juge a fait droit à l’explication de Google qui soulignait que cela ne pouvait en aucun cas être considéré comme un traitement discriminatoire dans la mesure où il n’existait pas de tolérance de la part de Google, qui faisait cesser ces pratiques dès qu’elle en avait connaissance.

Sur la rupture brutale de relations commerciales établies

Cette ordonnance soulève un point à notre connaissance inédit : quel peut être le sort de relations commerciales établies en violation des dispositions contractuelles ? Le PMU faisait en effet valoir que Google distribuait son application depuis près de dix-huit mois. Il aurait pu être soulevé que des relations commerciales instaurées en fraude ne peuvent pas être considérées comme établies, mais le PMU faisait valoir que Google avait en réalité expressément renoncé à se prévaloir des dispositions du règlement du Google Play Store. Sans guère de contestation possible, Google a fait valoir que le fait que des entreprises – qu’il s’agisse du PMU ou de ses concurrents – parviennent à échapper à sa vigilance pendant un temps ne valait pas renonciation expresse. En outre, il apparaît que des courriers antérieurs à la distribution de l’application sur le Google Play Store faisaient clairement état de l’opposition de Google.

Ce point est notable pour les entreprises qui se trouvent prises en défaut dans l’application de leurs propres normes.

Sur la procédure (l’existence d’un dommage imminent et la compétence du juge des référés)

Les développements relatifs au dommage imminent sont assez peu convaincants. Rappelons que la prévention d’un dommage imminent est, selon les règles de procédure civile, l’une des conditions d’intervention du juge des référés. En l’occurrence, le président note que le dommage est déjà en cours, de sorte que son ordonnance ne pourrait éventuellement que le réduire. Or il est parfaitement admis en jurisprudence et en doctrine que l’aggravation d’un dommage existant constitue un dommage imminent. Par ailleurs, il rejette les mesures demandées par le PMU, qui visait au référencement de toutes les applications, en considérant que ce dernier n’était pas recevable à formuler une telle demande au nom des autres entreprises concernées. Le président du Tribunal de commerce, agissant en référé, a pourtant le pouvoir de formuler une injonction en termes généraux, susceptibles de s’appliquer à toutes les entreprises se trouvant dans une situation identique.

Enfin en ce qui concerne la compétente, les sociétés Google faisaient valoir que seuls les tribunaux de l’Etat de Californie étaient compétents, compte tenu de la clause attributive de compétence figurant au contrat Google Play. Elles soutenaient que le PMU ne pouvait faire valoir l’article L.442-6 IV du Code de commerce, qui donne des pouvoirs spéciaux au juges des référés et qui, selon elles, ne pouvaient permettre de contourner la clause attributive.

Le Président du Tribunal n’a pas répondu sur ce point, pourtant intéressant, et a préféré renvoyer au contrat, selon lequel il était prévu « que Google soit en mesure de solliciter des mesures injonctives dans toute juridiction ». Pour se reconnaître compétent, le Président en conclut de façon un peu audacieuse que, si cette possibilité n’est contractuellement reconnue qu’à Google, le contrat ne l’exclut pas explicitement pour ses cocontractants.

Il aurait pu se référer plus simplement à une jurisprudence constante selon laquelle :

« une clause attributive de compétence territoriale est inopposable à la partie qui saisit le juge des référés » (Cass civ 2, 17 juin 1998 – n°95-10.563; Cass. Com. 25 juin 2002; Lyon, 6 mars 2012, 10/08418).

23 juin 2016 |

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