Coût de l’énergie et renégociation des contrats

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Entre pandémie et guerre, les temps incertains que nous vivons ont fait resurgir une notion discutée du droit des contrats : l’imprévision. La fermeture des piscines municipales l’a remise dans l’actualité en droit public. Mais la situation actuelle est évidemment de nature à porter atteinte également à l’équilibre financier de nombreuses activités économiques privées.

Or, cette théorie longtemps rejetée en droit privé a été introduite lors de la récente réforme du droit des contrats de 2016 et vient s’ajouter aux opportunités de renégociation ouvertes déjà par la jurisprudence.

De l’obligation de bonne foi…

L’article 1104 du Code civil prévoit que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. »

Les tribunaux ont dégagé de cette obligation de bonne foi une obligation de coopération : un contractant doit permettre l’exécution du contrat par l’autre contractant. Mais ils sont parfois allés plus loin, jusqu’à distinguer une obligation de renégociation du contrat. Ainsi,

  • En 1998, La Cour de cassation confirme une condamnation de Danone pour ne pas avoir permis à son distributeur dans l’Océan Indien de pratiquer des prix concurrentiels, proches de ceux que pratiquaient des distributeurs parallèles
  • En 1992, elle a jugé qu’une compagnie pétrolière avait engagé sa responsabilité en refusant de conclure un accord de coopération qui aurait permis à l’un de ses distributeurs de pratiquer des prix concurrentiels, à la suite de la libéralisation des prix de l’essence (Cass. com. 3 novembre 1992, Huard). Elle a adopté une position similaire dans un arrêt en date du 24 novembre 1998 (Cass. com., 24 nov. 1998, n° 96-18.357, Chevassus-Marche).
  • En 2017, la Cour de cassation a jugé que la loyauté imposait à un franchiseur de négocier, si l’accord de franchise s’avérait difficilement réalisable, et de « proposer des conditions acceptables » (Cass. com, 15 Mars 2017 – n° 15-16.406, Holder).

Plus récemment et dans le cadre même du coût de énergie, la Cour d’appel de Paris a rappelé que si « le contrat tient lieu de loi entre les parties« , dans un cas où aucun mécanisme de renégociation n’avait été envisagé, « il peut être admis que l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi doit inciter les parties à renégocier une convention dont le déséquilibre résulte notamment d’une hausse imprévisible du coût de l’énergie qui est susceptible de bouleverser l’économie du contrat. » (Paris, 17 janvier 2020)

… à la renégociation pour imprévision

La réforme de 2016 a introduit un nouveau dispositif légal, applicable aux contrats postérieurs à son adoption. Il pose, à l’article 1195 du Code civil, des conditions d’application et définit un processus de négociation.

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe »

Les conditions sont donc les suivantes :

  • « Un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat« . L’imprévisibilité est délicate à apprécier : il ne s’agit pas d’exiger que l’évènement soit inimaginable. Ainsi, si une pandémie ou une guerre ne sont pas de l’ordre de l’inimaginable, il est probable en revanche qu’elles soient toutes deux (et en particulier une guerre sur le continent européen suscitant une crise de l’énergie, ou l’alimentant) considérée comme imprévisibles;
  • Une « exécution excessivement onéreuse » : le mécanisme de l’imprévision ne trouvera donc évidemment pas à s’appliquer au cas où la partie qui l’invoque fait de moindres bénéfices, ou de faibles et transitoires pertes. L’imprévision pourra être invoquée lorsque le contrat, tout en pouvant toujours être exécuté, ne peut l’être exécuté qu’au prix de pertes importantes pour l’une des parties.

Il convient de souligner que cette disposition n’est pas d’ordre public. Aussi, si les contrats conclus prévoient des dispositions divergentes, ce sont elles qui trouveront à s’appliquer.

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13 septembre 2022 |

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