« So long, 1134 ! », et 20 nouveautés du droit des contrats

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codecivilLors même que l’on ne cesse de déplorer l’inflation législative, et que pointe l’œdème constitutionnel, quand chaque fait divers appelle sa loi, et chaque nouveau ministre son texte, comment ne pas nous recueillir un instant sur notre droit des obligations ?

Il le mérite, le fidèle, lui qui a traversé les ans, même les siècles, et porté jusqu’à nous des textes inchangés dans une poignante stabilité. 212 ans. Né par Napoléon, il a vu la Commune, les Zazous et Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé oui, mais Paris libéré ! Combien de nos textes résistent-ils seulement à une mandature ?

Le temps est venu de vous dire « au revoir », vous, textes dont le plus distrait des étudiants pouvait pourtant citer les numéros : 1134, 1382, à prononcer « onze cent trente-quatre » et « treize cent quatre-vingt deux ». Le « bon père de famille » nous a déjà quitté il y a deux ans, au nom de l' »égalité réelle entre les femmes et les hommes« , au profit de la « personne raisonnable ». Nous quittent désormais et entre autres l' »acte sous seing privé », qui devient « sous signature privée », et encore la « condition potestative », désormais « condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur » (c’est-à-dire potestative)…

Reste à organiser une fête publique place du Panthéon pour le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, et à remiser la nostalgie et le plaisir souverain de savoir, soi, de quoi il s’agit.

Car cette réforme répond à des objectifs louables de lisibilité, de clarté, d’attractivité et de stabilité. Certaines dispositions, en deux siècles, étaient devenues par trop inusitées, d’autres, accessoires à l’époque, avaient pris leur essor. Des solutions avaient été dégagées en jurisprudence, avec une telle fermeté que l’on s’étonnait de ne les point trouver dans le code civil. Et, après tout, notre droit est un droit codifié, pas un droit jurisprudentiel. Laissons cela aux Anglais.

L’exigence de lisibilité se traduit dès le plan retenu : il est chronologique, allant des sources des obligations et la formation des contrats jusqu’à leur résolution, en passant par leur contenu. Un lecteur non avisé voire étranger – mais certes un peu juriste tout de même – doit ainsi pouvoir prendre connaissance plus aisément des règles applicables.

Il y aurait matière à bien plus de considérations générales sur cette réforme, mais soyons concrets : voici vingt de ses modifications et apports pratiques.

Parce qu’elles ont peu de portée pratique, mais qu’elles touchent le cœur tendre du juriste, il faut mentionner à titre préliminaire (i) que la notion de cause disparaît au profit du « contenu du contrat » qui doit, par exemple, être « licite et certain » pour être valide (article 1128 du Code civil), (ii) que le consensualisme est expressément affirmé (article 1172 du Code civil), (iii) que la notion d’intérêt général vient à plusieurs égards remplacer celle d’ordre public et (iv) que l’ordonnance fait un sort à la « responsabilité délictuelle », qui devient la « responsabilité extracontractuelle » et vient désormais se loger aux articles 1240 s. du Code civil (au lieu du célèbre 1382).

Mais, voici donc, les vingt :

1. L’exigence de bonne foi est étendue : l’article 1134 actuel ne mentionnait cette exigence qu’au titre de l’exécution des obligations, le futur article 1104 du Code civil prévoit désormais que « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi » ce qui est au demeurant une reprise des solutions jurisprudentielles;

2. Specialia generalibus derogant : ne vous fiez pas à l’allure traditionnelle de cet adage, il est avancé comme une vraie nouveauté qu’aux termes de l’article 1105 al. 3 du Code civil, « les règles générales s’appliquent sous réserve [des] règles particulières », et spécialement du code de commerce ou de la consommation;

3. Un devoir général d’information est introduit (article 1112-1 du Code civil) : son non-respect peut entraîner l’annulation du contrat. Aussi, ce devoir est encadré et ne produit cette conséquence que sous conditions, notamment que les informations concernées aient « une importance déterminante »;

4. La confidentialité des négociations trouve un fondement textuel (article 1112-2 du Code civil) : cela n’empêchera pas les entreprises et leurs conseils d’imposer systématiquement des accords de confidentialité, pour le plaisir de répéter la loi, mais cela le pourrait;

5. Bienvenue aux conditions générales dans le Code civil (article 1119 du Code civil) ! Compte tenu de leur importance pratique, elles font leur entrée, ainsi que les solutions traditionnelles selon lesquelles elles ne trouvent à s’appliquer que si elles ont été communiquées et acceptées, cèdent le pas devant les conditions particulières, et s’annulent en cas de contradiction entre les conditions générales des cocontractants;

6. Le pacte de préférence et la promesse unilatérale intègrent le Code (articles 1123 s. du Code civil). Le premier est le « contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter », le second est bien connu des acquéreurs immobiliers;

7. L’abus de dépendance (y compris économique) est assimilé à la violence, et constitue donc une cause de nullité. Cette disposition étant spécialement susceptible d’être appliquée entre entreprises, il n’est pas inutile de la reproduire intégralement: « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif » (article 1143 du Code civil);

causpte8. La solution dégagée par la Cour de cassation en 1995 sur l’indétermination du prix et les contrats cadre entre dans le Code : ainsi est-il prévu que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation » (article 1164 du Code civil);

9. Le nouveau code fixe le droit sur les clauses limitatives de responsabilité. L’article 1170 du Code civil disposera que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Ainsi les clauses limitatives de responsabilité portant sur une obligation essentielle du débiteur ne seront réputées non écrites que si elles la vident de sa substance (contrairement à la solution retenue par la Cour de cassation);

10. Les clauses abusives sont désormais désignées comme les « clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » (article 1171 du Code civil) et concernent aussi bien les particuliers, les consommateurs, que les professionnels. Cette disposition ne s’applique toutefois qu’aux contrats d’adhésion;

11. Des dispositions spécifiques concernent les contrats conclus par voie électronique, et devraient satisfaire les entreprises (articles 1174 s. du Code civil) : ainsi est-il prévu que la possibilité d’accéder à un formulaire et de le renvoyer par voie électronique sera considéré comme équivalent à un « formulaire détachable » lorsque les textes le prévoient, ou encore que « l’exigence d’un envoi en plusieurs exemplaires est réputée satisfaite par voie électronique si l’écrit peut être imprimé par le destinataire »;

12. La notion d’interdépendance des contrats, jusque-là ignorée du Code civil, fait son entrée à l’article 1186. Nous évoquions ce débat dans le cadre de la location financière, et la solution dégagée par la Cour de cassation. Le texte frappe désormais de caducité (i) le contrat dont l’exécution est rendu impossible par la disparition de celui avec lequel il était interdépendant, ou (ii) le contrat « survivant » lorsque l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie au premier;

13. Innovation majeure : la théorie de l’imprévision est intégrée au droit français (article 1195 du Code civil). Il s’agit là de faire face à des circonstances imprévisibles. Pour que ce mécanisme n’introduise pas d »insécurité juridique dans les relations contractuelles, il est toutefois limité : les circonstances doivent être imprévisible lors de la conclusion du contrat et rendre l’exécution « excessivement onéreuse ». En cas d’imprévision, les parties peuvent tout d’abord renégocier le contrat puis, en cas d’échec de la négociation, faire appel au juge pour qu’il adapte le contrat ou y mette fin;

14. L’exigence d’un préavis avant la rupture d’un contrat à durée indéterminée trouve une consécration textuelle générale, à l’article 1211 du Code civil;

15. L’ordonnance introduit également la pratique de la cession de contrat (article 1216 du Code civil);

16. La force majeure est désormais définie dans le Code civil (article 1218 du Code civil), alors qu’elle était une pure construction prétorienne. Le critère d’extériorité est abandonné;

17. De la même manière, l’exception d’inexécution trouve sa place dans le Code (article 1219 du Code civil), alors qu’elle était jusque là une simple construction jurisprudentielle. Le texte ouvre la possibilité au débiteur de réduire le prix, sous réserve de le notifier à son créancier;

18. Les modalités de la cession de créance sont considérablement allégées, afin de satisfaire aux revendications des praticiens (articles 1322 s. du Code civil). La formalité de signification par huissier ou de l’acceptation du débiteur par acte authentique est supprimée. Le Code civil incorpore aussi désormais la cession de dette;

19. Véritable innovation : l’ordonnance introduit un nouveau type d’actions, les « actions interrogatoires », dans trois cas. Il s’agit d’actions par lesquels une personne peut solliciter d’une autre, partie au contrat, promettant ou autre, qu’elle déclare ses intentions ou clarifie une situation. Ainsi,

(i) l’article 1123 du Code civil prévoit-il qu’un tiers peut demander au bénéficiaire d’un pacte de préférence de confirmer l’existence de ce pacte et son intention de s’en prévaloir, dans un délai qu’il fixe lui-même. A défaut de réponse, le bénéficiaire ne pourra plus se substituer au tiers qui entend contracter;

(ii) Autre application dans le cadre de la représentation : le tiers peut demander au représenté de confirmer l’habilitation du représentant. A défaut de réponse, le représentant est réputé habilité à conclure l’acte considéré (article 1158 du Code civil);

(iii) Enfin, à l’article 1183 du Code civil, il est prévu que, dans le cas où une nullité relative serait encourue (qui se différencie d’une nullité absolue – qui sanctionne la violation d’une règle ayant pour objet la protection de l’intérêt général – en ce que la nullité relative peut être couverte par la confirmation du contrat), une partie peut demander à celle qui pourrait se prévaloir de la cause de nullité de se déterminer dans un délai de six mois, entre la nullité et la confirmation.

20. Enfin, au stade de l’extinction du contrat, l’ordonnance vient notamment modifier les conséquences de sa résolution. L’ordonnance abandonne le principe de la rétroactivité de la résolution, qui entraînait un jeu de restitutions parfois complexe. Désormais, les restitutions n’interviendront que lorsque les prestations échangées n’avaient d’utilité qu’en cas d’exécution complète du contrat résolu. Lorsque les prestations auront trouvé une utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, la résolution n’aura donc pas d’effet rétroactif.

Selon le principe dit de l’huîtrier, une dernière information, à titre de bonus : l’introduction, à l’article 1374 du Code civil, de l’acte sous signature privée contresigné par les avocats (aussi connu comme l' »acte d’avocat »), qui vaut jusqu’à inscription de faux.

Ces éléments d’information ne sont évidemment pas exhaustifs. Outre la lecture de l’ordonnance, il est possible de se référer au Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance, qui détaille très précisément les nouveautés de cette réforme, ainsi que l’esprit de son élaboration. Cette page du site du ministère de la Justice fournit aussi d’utiles exemples concrets.

Au moment de refermer ce code, laissons couler un dernier regard empreint de gratitude sur ce bicentenaire onze cent trente quatre, sûrs qu’aussi vrai que les anciens comptent encore en francs et que subsistent quelques « article 700 du Nouveau Code de procédure civile », nous ne manquerons pas de saluer à l’avenir sa mémoire par nos références dépassées, induisant dans les prétoires un bref et rare instant de complicité entre juristes âgés.

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