Partenaires successifs et rupture

Vous êtes ici : BeLeM Avocats > Le blog > Pratiques restrictives > Partenaires successifs et rupture

Comment évaluer la durée d’une relation commerciale, lorsque plusieurs personnes ou entités se sont succédé ? S’agit-il chaque fois d’une nouvelle relation dès lors que la personne change ?

Rappelons, brièvement, que l’article L.442-1 II du Code de commerce implique qu’une relation commerciale ne peut être rompue sans respecter un préavis dont la durée varie notamment en fonction de la durée de la relation. Son évaluation, lorsqu’elle n’est pas évidente, peut ainsi être un enjeu essentiel d’une action en la matière.

S’agissant d’une relation commerciale et non, strictement, d’une relation contractuelle, la jurisprudence reconnaît qu’une relation entamée avec une personne (physique ou morale) peut avoir été poursuivie avec une autre. Il ne suffit toutefois pas qu’une partie ait repris l’activité d’une autre pour que la relation se poursuive.

Plusieurs arrêts sont intervenus en 2022 pour l’illustrer. Par un arrêt en date du 19 octobre 2022, la Cour de cassation a repris un attendu de principe précisant que « la seule circonstance qu’un tiers, ayant repris l’activité ou partie de l’activité d’une personne, continue une relation commerciale que celle-ci entretenait précédemment ne suffit pas à établir que c’est la même relation commerciale qui s’est poursuivie avec le partenaire, concerné, si ne s’y ajoutent des éléments démontrant que telle était la commune intention des parties » (Cass. com. 19 octobre 2022, n°21-17.653). Cet attendu est la reprise à l’identique d’un attendu de principe (voir notamment Cass. com., 10 février 2021, n°19-15.369).

Dans un arrêt précédent, la Cour de cassation avait refusé de considérer que la relation s’était poursuivie avec deux entités différentes dès lors (i) que la succession n’était pas intervenue à l’occasion d’opérations emportant transfert automatique de droits et obligations, à la suite d’un rachat, apport ou fusion et (ii) que les éléments rapportés étaient insuffisants pour caractériser une intention de poursuivre la relation. En l’occurrence, était seulement rapportée la présence de deux interlocuteurs communs chez le partenaire (Cass. com. 16 mars 2022, n°20-19.490).

A l’inverse, l’année s’était ouverte sur ce point par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 janvier 2022 (Acquaculture Partners c. Acquacultur Fischtechnik), qui s’appliquait à relever la commune intention des parties de poursuivre la relation. La Cour avait alors pris en compte des éléments très concrets : le fait que la société Acquaculture Partners ait informé la société Acquacultur Fischtechnik de sa volonté de déménager en Espagne, que cette dernière lui ait fourni des cartons, que la première lui ait demandé à qui adresser ses factures et si elle devait créer un compte, ce à quoi Acquaculture Fischtechnikh a répondu par la positive.

Un autre arrêt de la Cour de cassation illustre cette solution de façon sévère : ainsi un tiers, qui avait racheté les actifs d’un fournisseur mis en redressement judiciaire, avait expressément écrit au distributeur que son contrat n’était pas repris dans le cadre de la procédure collective. La relation avait pourtant été poursuivie sur les mêmes produits et aux mêmes conditions. Pour autant, la Cour de cassation considère que cette information explicite suffisait à exclure l’intention commune de poursuivre la relation commerciale (Cass. com. 7 septembre 2022, n°21-12.704). On aurait pu penser que l’approche économique, plus que juridique ou formaliste, de la relation commerciale conduise à soutenir la position inverse.

Le formalisme n’est d’ailleurs pas toujours de mise, un arrêt de la Cour de cassation en date du 16 septembre 2022 en témoignant. Dans ce cas, une société avait noué une relation avec une personne physique exploitant un fonds de commerce de transport, donné ensuite en location-gérance à une société nouvellement créée dont la même personne était le gérant. La Cour de cassation n’a pas requis en l’occurrence la démonstration d’une intention commune de poursuivre la relation commerciale, estimant semble-t-il que cette poursuite se déduisait des faits (Cass. com., 28 Septembre 2022 – n° 21-15.843).

La confrontation de ces deux derniers arrêts laisse penser que l’intention des parties peut découler des faits eux-mêmes et ne pas nécessiter une démonstration explicite, tandis que l’affirmation explicite d’un refus de continuer (et, peut-être, la survenance d’un événement spécifique, en l’occurrence une procédure collective) fait obstacle à une caractérisation par les faits. Il n’est pas certain toutefois que ces solutions, établies au gré d’arrêts d’espèce, s’illustrent par leur cohérence.

Avatar de Erwan Le Morhedec

Erwan Le Morhedec

Photo de Ricardo Frantz sur Unsplash

11 janvier 2023 |

Aucun commentaire

The comments are closed.