JeanMarcMorandini.com ou la diversité du parasitisme

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L’image est peu flatteuse, convenons-en. En termes actuels, d’aucuns pourraient s’aventurer à la trouver stigmatisante. Que nul ne s’en offusque, elle n’illustre ce billet que pour ses seuls mérites pédagogiques et non pour jeter une quelconque opprobre.

Car dans la vie animale, dans la vie végétale, comme dans la vie des affaires, le parasitisme consiste à se nourrir des efforts d’autrui.

En termes plus choisis, juridiques, c’est bien cette réalité qu’a notamment traduit le Tribunal de Grande Instance dans une décision du 6 septembre 2012 :

Le parasitisme économique se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire. Il constitue une faute délictuelle susceptible d’engager la responsabilité de son auteur, en application des dispositions de l’article 1382 du code civil.

Et l’on connaît des procédés classiques de parasitisme, comme la copie de packagings, celle de modèles de vêtement. La décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 9 novembre 2012 vient illustrer une forme de parasitisme moins habituel, le parasitisme de sites d’information. Le site du Point reprochait en effet au site JeanMarcMorandini.com d’avoir « intensivement repris » des brèves rédigées pour la rubrique Medias 2.0 du site.

Les premiers attendus de la Cour rejettent toute contrefaçon, en écartant toute originalité des textes concernés1. Les premiers textes « sont des brèves de deux ou trois phrases dont la teneur sans prétention littéraire, ne permet pas à leur auteur, au demeurant inconnu, de manifester un véritable effort créatif lui permettant d’exprimer sa personnalité ». Quant aux autres, signés, ils sont jugés « sans particularité stylistique et sans ajouter d’éléments révélant [la] personnalité » de l’auteur. On dira que l’information est de libre parcours.

Le droit d’auteur n’offrira donc pas sa protection, mais c’est précisément lorsque la propriété intellectuelle est impuissante que le parasitisme vient, au titre de la concurrence déloyale, prêter son secours. Et la Cour d’appel n’est pas tendre dans ses attendus, puisqu’elle explique :

« Qu‘il ne suffit pas d’ouvrir une brève par la mention « selon le journal Le Point… » pour s’autoriser le pillage quasi systématique des informations de cet organe de presse sur les médias, lesquelles sont nécessairement le fruit d’un investissement humain et financier considérable ;

En se permettant cette facilité sur le site qu’elle publie, la société The Web Family s’épargne la charge de cet investissement et en tire un profit réel puisqu’elle bénéficie de nombreux encarts publicitaires dont il est permis d’affirmer que les informations puisées notamment auprès du journal Le Point et de son site www.lepoint.fr sont pour partie à l’origine des recettes induites »

La Cour rejette toutefois certaines demandes de la société éditrice du Point.fr, telles que la publication d’un communiqué judiciaire, la suppression des articles incriminés (en considérant que le caractère éphémère des informations leur ôte tout intérêt au jour de la décision) ou encore une interdiction générale pour l’avenir, mais elle indemnise néanmoins cette société en retenant une méthode d’évaluation quelque peu déconcertante en considérant que

« les observations aigres-douces qui ont été échangés entre l’hebdomadaire et le site www.jeanmarcmorandini.com, traduisent l’exaspération de l’hebdomadaire à cet égard, révélatrice de l’étendue de son préjudice. »

Une fois encore, la placidité ne paie pas et la victime d’un acte de parasitisme aura tout intérêt à faire étalage de son déplaisir. En l’espèce, le niveau de réaction de l’hebdomadaire, cantonné à des observations aigre-douces, a été évalué à 50.000 €. On ne saurait trop conseiller aux prochains de tenter la pâmoison de rage, qui pourrait aider à passer le seuil des 100.000 €.

A toutes fins, observons qu’il aurait pu être préférable d’utiliser une méthode d’évaluation plus objective, en tentant d’estimer les recettes publicitaires perçues par le site grâce à l’utilisation des textes du Point. Il aurait été possible de faire sommation de communiquer les statistiques de visite générales et rapportées aux textes concernés. Ce poste de préjudice pourrait éventuellement être accompagné d’une indemnisation pour le préjudice moral subi par la société éditrice du Point.fr.

Cette décision illustre bien la diversité du parasitisme, que l’on a pu rencontrer dans les décisions relatives aux Adwords mais que l’on rencontre encore dans un cas d’espèce qui réjouira mes confrères également rédacteurs de conditions générales de vente ou d’utilisation : la copie servile des conditions générales d’un site sur un autre constitue un acte de parasitisme, comme l’a jugé le Tribunal de commerce de Paris dans une décision du 22 juin 2012.

Enfin, pour illustrer un cas plus classique, relevons cette décision, relativement plus ancienne, rendue par la Cour d’appel de Paris le 18 janvier 2012 (n°10-09763) concernant un modèle de baskets montantes de type Converse. Là encore, la Cour rejette la protection du droit d’auteur, en constatant que les efforts stylistiques mis en avant par l’auteur du modèle de baskets renvoient en réalité à des éléments connus présents sur des modèles antérieurs. Pour autant, elle rappelle ceci :

Considérant en droit, que le principe de la liberté du commerce implique qu’un produit qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant, notamment, à l’absence de faute au préjudice d’un concurrent par la création d’un risque de confusion sur l’origine des produits ou par la captation parasitaire de ses investissements.

En l’occurrence, la Cour estime que la reproduction servile du modèle concerné constitue un acte de concurrence déloyale et de parasitisme.

La Cour a dès lors indemnisé l’auteur du modèle concerné en retenant, cette fois, des modalités objectives, à savoir la marge brute attendue de la vente des produits imitants, assorti d’une indemnisation supplémentaire relative au préjudice d’image subi par la société « par suite de la banalisation et de la dépréciation de son modèle qui a été galvaudé en étant reproduit dans une qualité médiocre imitant le cuir et offert à la vente à un prix très inférieur ».

  1. dont elle rappelle qu’elle doit être « le résultat d’un véritable effort créatif ne relevant pas seulement de la mise en œuvre d’un savoir faire, et caractérisée par l’empreinte de la personnalité de son auteur » []

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