Concurrence et dénigrement : quand les pizzas s’embrouillent

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« Domino’s Pizza est mon concurrent, je ne respecte pas leurs méthodes qui consistent à marketer la fraude, dont finalement vous vous faites complices et dont vous faites l’apologie« .

Speed Rabbit contre Domino’s Pizzas, ce n’est pas seulement sur le bitume entre vos pare-chocs, c’est aussi un affrontement devant les tribunaux, où le président de Speed Rabbit (ci-après Rabbit), franchise en méforme, fort remonté contre Domino’s Pizzas (ci-après Domino), accuse cette dernière chaîne de mettre en œuvre des pratiques commerciales déloyales assurant la primauté de son réseau de franchise.

Les faits vous sont aimablement rapportés par la revue Dalloz, à laquelle vous pourrez vous reporter pour un exposé plus complet. Contentons-nous de retenir que le président Rabbit impute notamment à Domino le fait de consentir des délais de paiement inhabituellement longs à ses franchisés, qui s’apparenteraient à des prêts – en violation de la règlementation financière – et favoriseraient ainsi indûment le développement de la franchise Domino au préjudice de Rabbit… et de garder notre attention pour les solutions apportées.

De même, il impute à Domino l’utilisation de produits congelés tout en prétendant utiliser des produits frais. Ces positions sont développées par divers canaux, depuis Twitter, la page « commentaires clients » d’Amazon ou encore sur un salon professionnel où il diffusait un quizz aux questions orientées sur les pratiques et l’honnêteté de Domino et de son dirigeant, dont les réponses conduisent évidemment à incriminer Domino.

Après un parcours judiciaire fourni, la Cour de cassation a rendu un arrêt de cassation le 15 janvier 2020 dont il conviendra de retenir les éléments suivants :

  • Lorsque les propos critiqués portent sur les produits ou services, il s’agit de dénigrement, et non de diffamation. Lorsque la critique porte sur « la façon dont les services sont rendus, la qualité des produits et des services de la société [concernées], les pratiques prétendument illicites qu’elle mettait en œuvre (…) les propos litigieux [sont] constitutifs de dénigrement. » A l’inverse, quand les propos ne visent pas les produits ou services de l’entreprise, mais la personne morale, les propos relèvent de la diffamation. La distinction est loin d’être anodine puisque les régimes des deux actions diffèrent largement et, en particulier, en ce que la diffamation se prescrit par trois mois, ce qui n’est pas le cas du dénigrement.
  • La responsabilité est engagée même en l’absence de préjudice démontré. C’est que, ordinairement, la mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle nécessite que soit démontré un préjudice, à la différence de la responsabilité contractuelle. En l’occurrence, et la Cour le rappelle à deux reprises, « il s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de concurrence déloyale / de dénigrement.« 
  • La violation d’une obligation règlementaire peut caractériser la faute constitutive de la concurrence déloyale. La jurisprudence en fournit de très nombreux exemples, que ce soit la violation d’une norme technique ou l’ouverture dominicale de certains magasins. En l’occurrence, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir vérifié si les facilités financières accordées aux franchisés ne consituaient pas des prêts prohibés par l’article L. 511-5 du code monétaire et financier. C’est d’ailleurs à cet égard que la Cour de cassation rappelle qu’il « s’infère nécessaire un préjudice d’un acte de concurrence déloyale« . Ainsi, même s’il n’était pas établi que les facilités financières étaient accordées par Domino dans des zones de concurrence avec Rabbit, signant ainsi une volonté d’éviction, la Cour devait rechercher « si l’octroi de délais de paiement illicites et de prêts en méconnaissance du monopole bancaire n’avait pas pour effet d’avantager déloyalement les franchisés de la société [Domino], au détriment des franchisés de la société [Rabbit], et ainsi de porter atteinte à la rentabilité et à l’attractivité du réseau concurrent exploité par la société [Domino]. »

La Cour confirme toutefois la condamnation de Rabbit pour dénigrement (et à payer 500.000€ à Domino) mais casse l’arrêt pour le reste. La Cour d’appel de renvoi aura peut-être l’occasion de se pencher sur le montant rondelet rarement (jamais ?) vu, qui a été alloué à Rabbit au titre de l’article 700 du Code de procédure civile : 500.000€ !

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