« Maître, est-ce qu’on peut en parler ? »

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Pilori L’adversaire a perdu. Il est condamné. Sentiment mêlé de satisfaction et de revanche. Et, pourquoi pas ?, pousser son avantage un peu plus loin encore. Faire connaître cette condamnation, la communiquer, la diffuser, dans la presse ou directement, par mail. Si le litige a été particulièrement accroché, s’il a été long, la tentation est plus grande encore d’en faire publiquement mention, de clouer l’adversaire au pilori – faute de croc de boucher.

Et pourtant, il faut faire preuve de prudence à plus d’un titre comme vient le souligner un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 janvier 2016.

Cet arrêt présente trois intérêts particuliers.

Le premier est directement lié à la question en titre : la partie qui a donné de la publicité à la condamnation de son adversaire a été condamnée pour dénigrement.

Le deuxième est un rappel de ce que la Cour d’appel de Versailles avait déjà jugé, dans un arrêt que nous évoquions ici : même la diffusion d’informations exactes peut constituer un dénigrement.

En l’espèce, une société E., spécialisée dans les cosmétiques pour sportifs avait fait part aux principaux distributeurs de la condamnation de son concurrent L., pour concurrence déloyale. Or, non seulement elle n’avait pas précisé que la décision n’était pas définitive et elle a perdu en appel mais elle terminait son courriel par un tacle imprudent (« Méfiez-vous des copies ! Choisissez l’original« , alors que son adversaire n’était pas mis en cause pour une quelconque contrefaçon)… En outre sa communication a eu de très graves conséquences pour son adversaire : rupture de contrats avec ses agents, avec des distributeurs et retrait d’investisseurs d’un tour de table. La société s’était d’ailleurs assuré la plus large diffusion en publiant concomitamment son communiqué sur Facebook et Twitter.

La Cour rappelle ces deux points dans les considérants suivants.

Tout d’abord, la définition du dénigrement et le fait que la diffusion d’une information exacte peut être dénigrante :

Considérant que caractérise un acte de dénigrement constitutif de concurrence déloyale le fait de jeter le discrédit sur une entreprise concurrente en répandant des informations malveillantes sur les produits ou la personne d’un concurrent pour en tirer un profit ; que des allégations, comme l’ont rappelé à juste titre les premiers juges, peuvent être constitutives de dénigrement quand bien même l’information divulguée serait exacte ou de notoriété publique, l’exception de vérité n’étant pas applicable en matière de dénigrement.

Et juste après, l’appréciation des informations concernées :

Considérant que la société E… a rédigé un courriel faisant état d’une décision de justice condamnant la société L… sans préciser qu’elle n’était pas définitive pour avoir fait l’objet d’un appel pendant devant la cour d’appel de Pau et du fait que la société L… commercialiserait des « copies » de ses produits, en se livrant de surcroît à cet égard à une interprétation erronée de la décision ; qu’en effet, la phrase en couleur séparée du reste du texte « Méfiez-vous des copies ! Choisissez l’original… j.fr », laisse entendre que les produits de la société L… seraient des contrefaçons de ceux commercialisés par la société E… alors que le tribunal de commerce de Dax ne s’est pas prononcé sur une action en contrefaçon mais en concurrence déloyale.

Le troisième intérêt de cette décision est procédural. En effet, qu’il s’agisse ou non de l’œuvre d’une justice immanente, la société E. a elle-même été mise en liquidation judiciaire. Juste avant, elle avait interjeté appel de la décision la condamnant pour dénigrement. La Cour d’appel de Paris rappelle que, conformément à l’article L. 641-9 du Code de commerce, cela n’interrompt pas pour autant la procédure, quand bien même le liquidateur n’a pas constitué avocat.

Voilà ainsi une plaisante subtilité de cette décision : c’est bien parce que la société E. – celle-là même qui avait assigné la société L. à tort puis avait communiqué à tort et de façon prématurée sur sa condamnation – avait elle-même interjeté appel que l’affaire a pu continuer et la société L. être pleinement rétablie dans ses droits.

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