L’alcool interdit d’Internet

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L’utilisation d’un site Internet à des fins de promotion de boissons alcoolisées constitue un trouble manifestement illicite, auquel il doit être mis fin. Tel est l’enseignement de la décision rendue en référé par la cour d’appel de Paris le 13 février 2008, dans une affaire opposant le brasseur Heineken à l’ANPAA (Association nationale de prévention de l’alcoolisme et de l’addictologie).

La publicité pour les boissons alcooliques est réglementée depuis la loi Evin du 10 janvier 1991, dont les dispositions figurent désormais, pour les seules boissons, aux articles L. 3323-1 et suivants du Code de la santé publique (CSP).

Celles-ci ne régissent pas seulement son contenu, mais encadrent aussi strictement les supports de publicité autorisés. Ainsi, l’article L. 3323-2 du CSP prévoit la possibilité de faire de la publicité pour les boissons alcooliques, par voie d’affichage, sur les véhicules de livraison ou encore les produits promotionnels…, mais ne mentionne pas Internet. A l’instar de ce qu’indique la cour d’appel pour les contenus, le principe des libertés publiques est ici inversé : tout ce qui n’est pas expressément autorisé est interdit.

La cour a en effet rejeté l’interprétation large de l’article L. 3323-2 4 du CSP, soumise par la société Heineken. Celle-ci souhaitait rattacher l’utilisation du site Internet à « l’envoi (…) de messages, de circulaires commerciales, de catalogues et de brochures », en précisant que cet article ne mentionne aucun moyen spécifique d’envoi, et donc n’interdit pas le moyen électronique.

La réponse de la cour est catégorique : « Il est manifeste, sans qu’il y ait lieu, sur ce point, à une quelconque interprétation, que le support de l’Internet ne figure pas dans la liste limitative précitée. » La cour a également rejeté l’invocation des débats parlementaires, comme des avis du BVP, soulignant que les premiers n’ont pas « une portée supérieure à la loi » et que les seconds n’ont « pas de portée législative ou juridictionnelle ». Elle a rejeté la question préjudicielle proposée par la société Heineken, rappelant que la Cour de justice des Communautés européennes avait déjà jugé que la dérogation à la « libre circulation des services de la société de l’information » était justifiée par « un objectif relevant de la protection de la santé publique ».

Les mentions du site heineken.fr (désormais indisponible) non conformes aux dispositions légales ne sont qu’un facteur aggravant d’un trouble manifestement illicite déjà caractérisé.

La publicité en faveur de toutes les boissons alcooliques est interdite sur Internet.

Toutes les boissons alcoolisées

Cela concerne les alcools forts, la bière, comme le vin. L’ensemble des sites de promotion des vins, qu’il s’agisse des plus grands châteaux ou du viticulteur le plus confidentiel, est donc susceptible d’être fermé… L’ANPAA a d’ailleurs indiqué par voie de communiqué de presse qu’à compter de la fin du mois de février 2008 elle se réservait « la faculté d’engager toutes actions judiciaires » nécessaires. La décision rendue paraît d’une parfaite rigueur juridique. Mais, outre l’ampleur manifestement excessive de ses conséquences, elle aboutit à un régime juridique d’une tout aussi parfaite incohérence. Comment concilier le fait que la publicité par voie d’affichage, « imposée » au passant passif, soit licite, mais que la publicité sur Internet, dont la consultation suppose une démarche active de l’internaute, soit interdite ?

La cour considère que, « le site litigieux constituant une mise à disposition de publicité », elle ne peut donc être assimilée à un « envoi (…) de messages, de circulaires commerciales, de catalogues et de brochures » : en termes de santé publique, le droit préfère donc aujourd’hui l’envoi de publicités non sollicitées dans les boîtes aux lettres à la recherche volontaire et personnelle d’informations.

On rappellera que la décision prononcée le 6 janvier 2004 par le président du tribunal de grande instance de Paris condamnant une campagne de publicité en faveur des vins de Bourgogne avait suscité de vives réactions… et un aménagement du régime juridique, par une loi du 23 février 2005. Il y a tout lieu de penser que, de la même manière, cet arrêt donnera lieu à une prochaine modification des dispositions législatives, pour intégrer Internet à la liste des supports autorisés par l’article L. 3323-2 4 du CSP.

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Article publié aux Echos de ce jour (vous pouvez d’ailleurs le commenter en ligne sur le site des Echos.

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