Diminuer les commandes, en temps de crise, est-ce rompre un contrat ?

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graphLe fait de rompre une relation commerciale sans respecter un préavis tenant compte, notamment, de la durée des relations commerciales, constitue une faute. C’est ce que prévoit, en résumé, l’article L.442-6.I.5° du Code de commerce, désormais bien connu des entreprises. Parmi les difficultés d’interprétation de ce texe (exemples), la question de la prise en compte de la crise économique était devenue incontournable. La Cour de cassation vient d’apporter un sérieux élément de réponse dans un arrêt en date du 12 février 2013.

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L’article L.442-6.I.5° du Code de commerce n’oblige pas à maintenir une relation commerciale. En revanche, il impose d’accorder un préavis avant de rompre celle-ci, même dans le cas d’une rupture partielle des relations commerciales. Ainsi, une simple baisse du niveau des commandes constitue une telle rupture des relations commerciales, qui nécessite un préavis. Bien évidemment, l’absence de préavis ne débouche évidemment pas toujours sur un contentieux, notamment pour des raisons d’opportunité lorsdque la part de l’activité concernée est faible. Il faut aussi noter que l’indemnisation versée est directement liée à la baisse subie, de sorte qu’engager un procès pour une baisse faible serait non seulement peu commercial mais peu « rentable » judiciairement.

Le fait est, donc, qu’une diiminution de l’ampleur des relations commerciales suppose un préavis. L’article L.442-6.I.5° du Code de commerce ne connait que deux exceptions : les inexécutions du partenaire, et la force majeure. Or, la crise économique n’est pas analysée comme un cas de force majeure par les tribunaux.

La question pratique, souvent soulevée par les entreprises était alors la suivante : si une entreprise subit une baisse importante de ses commandes, en raison d’une crise économique, est-elle contrainte d’accorder un préavis à son partenaire (fournisseur, sous-traitant) pour diminuer elle-même ses commandes ?

La situation pouvait paraître parfaitement absurde si l’entreprise était contrainte de continuer de commander des matériaux ou composants pendant le temps du préavis alors même qu’elle savait déjà qu’elle n’avait plus les débouchés nécessaires.

Les juridictions saisies avaient jusqu’ici rendu des solutions peu encourageantes.

La Cour d’appel de Douai avait considéré que la « baisse constante du volume en France de l’application de peinture poudre sur cadres enfants (…) ne [peut] constituer un cas de force majeure » ( Douai, 5 décembre 2002, Sté Promilès c. Norcolor).

La Cour d’appel de Chambéry avait estimé que la chute du carnet de commandes ne constitue pas un évènement de force majeure (Chambéry, 8 juillet 2010).

Et, alors que l’auteur de la rupture soulignait qu’une entreprise soulignait qu’elle ne pouvait pas « passer les commandes qu’elle n’a pas« , la Cour d’appel de Paris répondait fort classiquement que « le fait d’un tiers exonératoire de responsabilité doit revêtir le caractère d’une force majeure constituée par son extériorité et son irrésistibilité » (Paris, 3 juillet 2009, Anaïk Descamps c. Rousseau).

Des interprétations ont toutefois été tentées, et des solutions esquissées.

On pouvait ainsi relever que, dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Douai, il s’agissait d’une « baisse constante » sur un marché qui disparaissait. Dans un tel cas, la baisse des commandes, voire leur fin, n’avait rien d’imprévisible pour l’entreprise, et celle-ci aurait pu accorder un préavis à son partenaire. Dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Paris, la Cour avait relevé que l’entreprise avait concentré ses réductions de commande sur un seul de ses partenaires au lieu de la répartir entre eux, ce qui révélait une intention de mettre fin spécifiquement à la relation avec ce partenaire. On soulignait encore, sur la base d’un attendu de principe d’un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, que « la rupture brutale d’une relation commerciale établie peut résulter, au sens de l’article L. 442-6-I 5°, de toutes circonstances dénotant de la part de leur auteur la volonté de parvenir à la cessation de la relation » (Aix-en-Provence, 8 février 2007, Dynamique Provençale c. Les Trois Abeilles), de sorte qu’il serait possible de soutenir que la baisse de commandes provoquée par la crise économique ne relève pas d’une « volonté » de cesser une relation commerciale.

Enfin et surtout, la Cour d’appel de Chambéry, dans l’affaire précitée, avait certes refusé de considérer que la chute du carnet de commandes puisse constituer un cas de force majeure, et retenu l’existence d’une rupture, mais elle avait tenu compte de cette chute dans l’évaluation du préjudice et pris pour assiette du préjudice un chiffre d’affaires en baisse.

La Cour de cassation va beaucoup plus loin, en considérant pour la première fois que dans un tel cas, il n’y a pas eu de rupture des relations commerciales.

L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt opposait deux sociétés du groupe Caterpillar à la société Compagnie de maintenance industrielle (CMI). Celles-ci avaient entretenu des relations commerciales pendant plus de vingt ans, jusqu’à la crise intervenue en 2008. La Cour de cassation rappelle les faits sur lesquels s’est fondée la Cour d’appel : les sociétés Caterpillar ont subi une diminution de leur activité de 70% entre 2007 et 2008, en raison des répercussions de la crise sur les secteurs de construction et des travaux publics. Elle relève également que, dans le cadre de la mise sous sauvegarde de CIM, le juge-commissaire a résilié les deux conventions en relevant le caractère sinistré de l’activité des sociétés Caterpillar.

Sur la base de ces faits, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir retenu que :

« il ne peut être démontré l’existence d’une quelconque rupture de la relation commerciale établie entre CMI et chacune des sociétés Caterpillar, celles-ci ayant certes diminué de façon significative leur volume de commandes auprès de leur sous-traitant, mais compte tenu de la diminution de leurs propres commandes et donc de façon non délibérée; qu’en l’état de ces constatations et appréciations faisant ressortir que la baisse des commandes des sociétés Caterpillar ne leur était pas imputable, la cour d’appel a légalement justifié sa décision »

Cette décision souligne la nécessité qu’une manifestation de volonté intervienne, pour caractériser une rupture. C’est d’ailleurs tout simplement juste d’un point de vue lexical : « rompre » une relation, selon les termes de l’article L.442-6.I.5 du Code de commerce, suppose une action délibérée. Les conséquences en sont donc tirées.

Il ne faudrait toutefois pas donner une portée erronée à cet arrêt. Il est en effet possible de tirer un enseignement de porter générale, comme cela vient d’être fait, mais l’attendu de la Cour n’est pas à proprement parler un attendu de principe, en ce qu’il est fortement tributaire d’éléments factuels. Il ne faudrait pas non plus imaginer que la crise économique serait un blanc-seing. Cette décision ne rend probablement pas obsolète l’appréciation sur la soudaineté de la crise, comparée à une longue et constante chute d’un marché. Et il conviendra certainement de préserver une forme de proportionnalité entre la baisse subie et la baisse répercutée.

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